Trujillo : Bienvenue chez les Moches !

J’avais déjà fait ça au Laos où j’étais allé à Savannakhet uniquement dans le but d’en apprendre un peu plus sur les dinosaures. Me voici cette fois-ci à Trujillo où je suis allé sur les traces des Moches, uniquement pour pouvoir écrire un titre tel que celui-ci ! 

Malgré cette motivation à l’humour douteux (en plus j’ai appris qu’il fallait dire « MotchÉs », les espagnols n’ont aucun humour !), je dois avouer que cette civilisation a su attirer toute mon attention.

Qui étaient les Moche ?

On connaît très peu de choses des Moches en dépit de leurs talents artistiques indéniables (céramiques), de leur parfaite maîtrise métallurgique (réalisation d’alliages utilisés pour produire des bijoux, des armes ou des outils), et des techniques d’irrigation si ingénieuses que les légumes poussaient à volonté dans des vallées pourtant sèches. 

Bon… veuillez excuser le choix des 3 illustrations qui suivent et éloignez IMMÉDIATEMENT les enfants de l’écran ! Le musée présentant les découvertes faites dans le Huaca de la luna interdit de prendre des photos. Mais comme tout le monde insiste sur la qualité des céramiques Moches,  je me suis heureusement souvenu que j’avais trouvé une exposition fort intéressante au musée Larco de Lima. C’est vraiment dans un but uniquement pédagogique afin d’illustrer la qualité du travail de cette si brillante civilisation, que je partage ces photos avec vous :

Si vous voulez aller plus au fond des choses voici le lien du musée Larco.

Cette civilisation brillante a régné au nord-ouest du Pérou entre le IIe et le VIIIe siècle après J.-C, soit longtemps avant les Incas. Depuis quelques années (les recherches sur cette civilisation ont réellement débuté dans les années 1990 avec l’opération de fouille lancée sur le site archéologique de Huaca de la luna) les découvertes mettent au jour tout leur génie, à tel point que plusieurs historiens voient chez les Incas une part de cet héritage Moche. Rien que ça !

Cette civilisation maîtrisait donc la métallurgie, l’orfèvrerie et la céramique. En l’absence d’écriture, les vases portraits témoignent de la vie quotidienne mais surtout des cérémonies religieuses. En trois dimensions, ils donnent à voir de manière très réaliste les guerriers au combat, les prêtres officiant, les esclaves au travail, jusqu’à la torture de prisonniers ou à une sexualité débridée. Et les artisans les produisaient « à la chaîne » en recourant à des moules. Les joyaux et les objets funéraires en métal précieux et pierreries témoignent d’une brillante maîtrise. Les Moche ont mis au point une technique électrochimique de plaquage de l’or sur différents métaux. Cette innovation, utilisant des minéraux corrosifs en solution, offre le même résultat que le système par électrolyse qui ne sera inventé, en Europe, qu’au XVIIIe siècle (c’est du chinois pour moi mais il parait que c’est impressionnant d’ingéniosité !). Malgré tout, en dépit de ces innovations technologiques et son raffinement, cette civilisation a disparu, il y a plus de mille ans, sans qu’on sache pourquoi (pour le coup on peut pas taper sur les espagnols). Deux siècles de décadence et d’innombrables catastrophes naturelles (tremblements de terre, tempêtes de sable, etc.) pourraient avoir eu raison d’une culture qui n’en finit plus d’étonner les archéologues.

Le coupeur de tête et les sacrifices

Les Moches avaient beau être un peuple hautement civilisé, quand on vénère un dieu au nom qui fait froid dans le dos, Ai Apaec « le coupeur de tête » (Ambiance !) on ne peut pas échapper à une réputation de peuple sanguinaire et barbare. 

Représentation du fameux dieu coupeur de tête. Il est quasi-systématiquement représenté avec des cheveux en formes de tentacules (la mer), des yeux de Hibou (le ciel) et des dents de puma (la terre). On retrouve ce triptyque dans la civilisation Inca avec le Condor, le Puma et le serpent.

Je vous laisse imaginer le sort réservé aux pauvres sacrifiés dans une civilisation pensant que faire couler le sang pouvait par exemple être de bonne augure pour les récoltes à venir… Humiliés, pelés vivants, décapités, démembrés, vidés dans un bain de sang ou abandonnés à l’appétit vorace des vautours, tel était le destin des malheureux choisis pour le sacrifice.

Au niveau du 3e étage. Salle dans laquelle étaientt préparés les sacrifiés. Les ossements de 77 cadavres ont été retrouvés derrière cette salle. En haut à droite, dans la partie cramée de la photo !

Les moches n’étant pas une civilisation à la culture écrite, nous trouvons sur les céramiques et les fresques murales des scènes de tortures si violentes que certains experts pensèrent d’abord qu’il s’agissait d’une ruse pour dissuader d’éventuels ennemis (dois-je vous rappeler que les Moches étaient des artistes hors pair.…). Mais les analyses réalisées sur les squelettes ont prouvé que les sanglantes tortures étaient bien réelles. Restait donc à savoir qui étaient ces victimes : des ennemis capturés ? Ou, à l’inverse, l’élite locale, ce que laisserait supposer les représentations de combattants Moches vêtus de façon somptueuse, où l’un triomphe sur l’autre sans l’achever. 

Le sacrifice serait, dans cette hypothèse, l’aboutissement d’un combat rituel destiné à honorer les dieux. 

Fin du suspense grâce aux révélations de l’étude génétiques de près de 80 squelettes trouvés dans le temple de Huaca de la Luna. En comparant principalement les racines dentaires (un caractère physique fortement influencé par la génétique) des autres populations de la côte Nord du Pérou avec celles des ossements retrouvés dans le temple pyramidal de la capitale Moche, les chercheurs ont conclu que les victimes étaient bel et bien Moches mais venus de vallées voisines. Des victimes de conflits locaux et territoriaux ? En tout cas la théorie du combat sacrificiel est celle qui tient la corde.

Un peuple de bâtisseurs

Ainsi, les mains dans le dos, le combattant vaincu baisse la tête. Il sait que la mort est proche, que bientôt on le décapitera. Le sang de ce prisonnier sera alors recueilli dans une coupe et exhibé à la foule réunie sur la place centrale. Là juste à nos pieds, aux pieds de la pyramide du Huaca de la luna au sommet duquel je me trouve. Le sang sera bu par le prêtre et quelques gouttes seront versées sur le sol, garantissant la fertilité pour le peuple Moche. 

Nous sommes à la lisière de la ville de Trujillo, et la Huaca de la Luna est l’une des plus célèbres pyramides Moche. Ce centre funéraire et religieux fait face au centre administratif et commercial de l’empire, la Huaca del Sol. Entre les années 400 et 600, ces deux huacas « temples sacrés » formaient la capitale de la civilisation Moche. 

La Huaca del Sol constitue à elle seule le plus grand édifice précolombien d’Amérique du Sud avec ses 40 mètres de haut sur 340 mètres de long. Et malgré une destruction partielle, elle dévoile encore sa massive structure réalisée avec 100 millions de briques de terre séchées au soleil. 

L’édification de pareils temples nécessitait une société hautement hiérarchisée ayant atteint un grand degré d’organisation. Les Moche avaient atteint un grand développement architectural, artistique et technologique, n’ayant rien à envier aux Romains qui, au même moment, voyaient leur l’Empire s’effondrer en « Europe ».

Le huaca de la luna

Mais le Huaca del sol ne se visite pas. D’ailleurs les fouilles sont au point mort, les autorités ne cherchant pour l’instant pas à débloquer les fonds nécéssaire aux avancées des recherches sur cette civilisation.

Je vais donc, après un rapide passage dans le superbe musée présentant de nombreuses céramiques de grande qualité, dans la Huaca de la Luna; épicentre religieux de la civilisation moche. 

On n’y rentre pas par l’entrée principale mais par une petite ouverture, sur la place des sacrifices humains. 

À l’origine, les rares personnes autorisées à pénétrer dans le temple, utilisaient la large rampe d’accès qui les menait directement au sommet que nous découvriront à la fin de la visite. 

En bas, la partie sombre, c’est le 3e niveau de cette pyramide inversée. Nous pouvons également observer le 4e étage tandis que je prend la photo depuis le sommet du 5e !

Ce complexe architectural complexe forme, de l’extérieur, une pyramide. Pourtant de l’intérieur, on découvre que cette même pyramide est en réalité inversée. Chaque étage étant plus grand que le l’étage inférieur. On construisait ainsi un nouvel étage suivant un calendrier cérémonial (à peu près tous les 80-100 ans) et pour montrer que le nouveau était plus grand que le précédent, on condamnait le premier étage et construisait par dessus un étage plus imposant. Le tout était recouvert de terre et de sable ce qui donnait de l’extérieur une forme de Pyramide qui ne m’a pas aidé à comprendre la structure de l’édifice ! 

Pour couvrir l’ancien temple et élever de nouveaux murs, il fallait des milliers de briques d’adobe. Cette corvée mobilisait des ouvriers des communautés proches. Chaque brique exhibait un signe distinct signifiant que la famille avait « payé » son tribut.

Sur ces briques on peut voir que par exemple, c’est une famille Moche qui a inventé le smiley !

Les murs intérieurs et la façade principale revêtent encore des murales polychromes ‘on voit encore les 5 couleurs qu’ils utilisaient. Le rouge, le jaune, le bleu, le blanc et le noir, c’est assez dingue le niveau de conservation alors même que le site n’est pas restauré !) dédiées à la plus grande divinité Moche, le fameux Ai Apaec « le Coupeur de tête » qui était accessoirement le Dieu des montagnes. 

Les fresques reprennent indéfiniment sa tête monstrueuse mais le représentent aussi entier, arborant un couteau dans une main et une tête décapitée dans l’autre (il a l’air sympa comme tout !). D’autres figures géométriques composent également des motifs à têtes d’oiseaux, de poissons ou de serpents.

source : Science Presse – septembre 2005 – Isabelle Burgun.

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