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Medellin, ou quand le tourisme ne veut pas tourner la page.

Il doit être environ 11h30 lorsque je vois une foule de gens courir dans ma direction. Je suis avec une petite dizaine d’autres touristes et Naty, notre guide, tout en gardant le sourire, nous intime de nous décaler sur le coté. 

La foule éclectique avance. Les jeunes courant plus vite que les vieux dont, certains avec une canne à la main, tente de tenir le rythme pour ne pas manquer une miette du spectacle. Au passage de cette horde, les badauds insultent les deux jeunes hommes qui semblent être poursuivis. 

J’étais alors en train de commander un jus d’orange frais à une mamie qui s’arrête en voyant la scène et jette les pelures qu’elle avait dans sa main gauche tout en levant le poing droit et accompagnant sa chorégraphie colérique d’un chatoyant « Hijo de puta  !!!! » Avant de se tourner vers sa voisine et de continuer à pester contre les 2 jeunes hommes.

Nous restons interloqués. Le spectacle me rappelle les abrivados dans mon sud provençal. Que se passe t-‘il dans cette rue ? Que font tous ces gens surexcités ? La mamie va t-elle enfin me servir mon foutu jus de fruit ? Tant de question et si peu de réponses….

Naty nous explique : « Les deux jeunes hommes ont du voler quelque chose. Ici, si tu voles, tout le monde se mettra à ta poursuite, et tu as plutôt intérêt à courir vite ».

Les pickpockets sont finalement immobilisés à une cinquantaine de mètres de nous. 

« Et la police ? » demandais-je.

Naty tourna la tête et avec un grand sourire pointa du menton trois policiers pas du tout affolés à l’idée d’éviter un lynchage. « Une fois que la police arrive, c’est comme si les voleurs étaient libérés, que veux-tu qu’ils fassent contre des voleurs à la petite semaine ? Alors, les policiers sachant ça, laissent une longueur d’avance aux poursuivants histoire qu’ils fassent passer le gout de recommencer aux voleurs ». 

L’escale fût courte, une journée à arpenter les rues du centre ville de Medellin . Pourtant l’atmosphère qui règne dans les rues de cette ville est unique et me laissera un souvenir particulier. 

Pourquoi ? Déjà peut-être par rapport à sa réputation sulfureuse soyons honnête. Medellin, dans les années 90 était considérée comme la métropole la plus dangereuse au monde et restera l’une des rares villes pour lesquelles j’ai du étudier pour trouver un hôtel dans un quartier assez sur. En effet, contrairement à la plupart des villes dans lesquelles je suis allé, et où, plus on se rapproche du centre, plus les rues sont sures, à Medellin il est fortement conseillé de choisir les banlieues.  

Ensuite, car lors de la présentation de la ville par mon guide (comme vous avez pu le remarquer j’aime faire les free walking tours quand j’arrive dans une nouvelle ville), les 5 premières minutes de la visite ont été consacrées à nous rappeler quelques consignes simples comme rester en groupe pour éviter les « papayas » (pickpockets), garder nos sacs avec nous voir contre notre ventre selon les rues… bref de quoi nous rassurer. 

Pourtant, ce n’est pas ça qui m’a le plus marqué dans la ville de Medellin. Ce que j’en retiendrai c’est cette envie, ce besoin qu’ont les « paises » (surnoms que l’on donne aux habitants de Medellin et de ses environs) à redorer le blason de leur ville. Mais pour comprendre cela, revenons sur l’histoire tourmentée de cette ville connue du monde entier. 

Medellín la tourmentée et l’ombre de Voldemort

Medellin n’aura, pendant longtemps, que peu marquée l’histoire de son pays. Peuplée par de nombreuses tribus, lorsque les premiers espagnols passent dans la région, ils ne trouvent pas les richesses escomptées et poursuivent leur route pour finalement poser leurs valise dans la région de Bogota. 

Ce n’est que plus tard, sans doute lassés par la fraicheur de la capitale colombienne que les colons se rappelèrent que finalement, Medellin, bah c’était peut-être pas si mal que ça !

Bref, tout ça pour ne rien dire, ou pour dire qu’à part que mis à part son climat plutôt agréable, rein ne poussait Medellin à un jour devenir une ville célèbre dans le monde entier. 

C’est au début des années 1970 que va commencer à s’écrire au fil des attentats, des lignes de poudres blanches et des corps inanimés jonchant les rues, l’histoire d’une ville marquée au fer blanc, estampillée pendant des années comme étant « la ville la plus violente du monde » et que les nouvelles générations cherchent à dépasser. Lassés par une réputation sulfureuse qui, continuellement alimentée par les fantasmes de certains, écoeurés par l’image que donne Netflix d’Escobar (qu’ils appellent Voldemort) et remontés contre ces touristes qui viennent assouvir leur soif de voyeurisme dans des tours organisés par d’ex-lieutenants du capo. 

D’ailleurs lorsque j’ai parlé à Naty de quelques réactions d’amis et d’étudiants quand je leur ai annoncé que je passerai par Medellin, je l’ai senti profondément attristée. 

Quand, par exemple, je lui ai dit qu’une amie m’avait demandé d’écrire un article sur Escobar parce qu’elle était « fan », elle grogne spontanément contre Netflix et m’explique que les gens à Medellín sont encore blessés par les drames de cette époque. Ils n’aiment pas trop parler de ça et la série n’est pas vraiment populaire ici. Les gens se sentent presque offensés par Narcos parce qu’ils sont lassés qu’on parle de la Colombie uniquement à travers Pablo Escobar. 

Elle me montre du doigt une petite colline à l’entrée de Medellin et me dit qu’Escobar est enterré dans le cimetière et que depuis la sortie de Narcos, sa tombe n’a jamais été autant fleurie. Elle me raconte même l’anecdote d’une photo qui avait fait un bad buzz en Colombie. Un américain posait à coté de la tombe, un  joint à la bouche. En légende on pouvait lire « Avec le Boss ». 

Elle, qui pourtant est née l’année de la mort de « Voldemort », se rappelle de l’état dans lequel sa ville était dans sa jeunesse. Elle me raconte que même si elle n’a pas connu l’enfer de Medellin sous le règne de celui dont on ne doit pas prononcer le nom, elle a grandi au milieu des guerres des clans voulant se réappropriai le cartel. 

Elle me raconte que, depuis l’arrivée d’Escobar jusqu’au début des années 2010, la peur régnait dans la ville. Les morts y poussaient sur les trottoirs et les bombes germaient jusque dans les entrailles des statues de Botero. En passant devant l’une d’elle, je lui parle de ma visite du musée Botero à Bogota et elle me dit « Pourquoi les gens ne veulent pas associer Medellin à un homme comme Botero ? ».

On continue à discuter en marchant dans les rues du centre ville. Un australien du groupe nous entendant parler, nous raconte que la veille, il avait fait un tour des lieux symboliques de cette périodes avec Roberto Escobar, le frère de Voldemort. Je reste interloqué… Il me dit « non, non, mais le tour reste neutre, c’est très interessant ! »… Mouais.

Pour moins de 30 euros par personne, les badauds reluquent quelques souvenirs dans une maison de famille, admirent des caches insoupçonnables et écoutent religieusement les extravagances du chef. Le circuit inclut l’immeuble Mónaco, la tombe d’Escobar au cimetière Montesacro et la maison de Roberto revisitée en musée.

Il s’éloigne. La guide, restée muette jusqu’alors me dit « tu vois, la Colombie devient une destination tendance. Chaque année, de plus en plus de touristes viennent se rendre compte que l’on dispose de la biodiversité la plus riche du monde (au km2) et des abrutis préfèrent pourtant surfer sur la vague Escobar pour se faire du fric. 

On passe devant un stand qui vend des t-shirts à l’effigie du baron de la drogue. Elle me dit « et à la fin de leur tour Escobar, ils vendent même des mugs ! »

Proverbe colombien : « Si tu veux voir les Caraïbes, vas sur une ile, si tu veux voir l’Amazonie, vas au Brésil, Si tu veux voir des volcans, vas en Equateur. Si tu veux voir tout ça, viens en Colombie ! »

Medellin tournée vers le futur 

Penchons nous maintenant sur ce ce que ne raconte pas Netflix (oui parce que outre Narcos, ils ont aussi décidé d’ouvrir une série documentaire sur le tourisme « noir » par un épisode sur Medellin), c’est à dire, comment Medellín, la deuxième plus grande ville de Colombie, s’est réinventée.

Au début des années 1990, comme le disait Naty, Medellín était une vraie zone de guerre, des voitures piégées explosaient en pleine rue tous les jours, et ce, même après la mort d’el patron…

Une impressionnante métamorphose

Quand Escobar a été abattu, Medellín était sans doute l’un des endroits les plus dangereux au monde. Entre 70 et 80 % des commerces de la ville ont disparu parce qu’ils étaient, de près ou de loin, reliés au cartel. 

La ville a donc dû trouver un moyen pour renaitre de ses cendres. Elle a choisi de mettre le paquet sur le développement des infrastructures. Coincée dans la vallée de Aburrá entourée de montagnes, Medellín est devenue la première métropole au monde à intégrer un téléphérique à son réseau de transports publics. Mise en service en 2003, la première ligne de ce Metrocable a contribué au développement des quartiers déshérités du nord-est de la ville.

En 1995, Medellín avait déjà inauguré sa première ligne de métro reliant le nord au sud où se trouve toutes les usines.

Même si pour nous le métro est ancré dans les mode de transports communs dans les grandes villes, pour les Colombiens, c’est quasiment une attraction touristique et dans chaque station, il y a deux femmes de ménage et quatre policiers en service, 7 jours 7. Ce qui doit en faire l’un des endroits les plus propres et les plus sûrs de Medellín!

Une image à redorer

Le développement des infrastructures est également passé par la construction, en 2011, d’un gigantesque escalier mécanique au cœur de La Comuna 13, connu pour avoir été, durant des années, l’un des quartiers les plus violents de la ville. En plus de de faciliter la vie quotidienne des habitants de ce barrio à flanc de colline, l’escalator, est devenu l’un des symboles de la transformation et du renouveau de Medellín. 

Aujourd’hui, on peut marcher dans les ruelles escarpées de La Comuna 13, sans craindre pour sa sécurité. Des jeunes du quartier, regroupés au sein du collectif Casa Kolacho, organisent même un « Graffiti Tour » pour découvrir les nombreuses œuvres de street art qui recouvrent les murs du bario, et qui sont autant de témoignages des traumatismes et autres violences subies par les résidents du quartier.

Si la ville a changé et remporté en 2016 le prix Lee Kuan Yew surnommé le « Prix Nobel des villes », les clichés hérités des années de violences et de guérilla urbaine ont pourtant encore du mal à s’effacer.

Tourisme de mémoire contre Narcotourisme

Même si les tours sur le narcotourisme fleurissent à Medellin, et même s’il est normal que les gens posent des questions refuse d’entrer sur ce terrain. « C’est normal que les touristes qui viennent en Colombie posent des questions sur la série et sur Escobar, il ne faut pas manquer de respect à toutes leurs victimes que de permettre à d’anciens criminels de tirer profit de ce qu’ils ont pu faire à l’époque. 

Ainsi, plutôt que d’aller voir Roberto Escobar dont on ne tirera pas grand-chose (il parait qu’il est à moitié sourd et aveugle depuis qu’une lettre piégée, envoyée par le cartel ennemi de Cali, lui a explosé en plein visage), j’ai préféré, comme à chaque fois que je me pose une question sur l’impact que je pourrais avoir lors d’une visite, aller en apprendre d’avantage dans un musée. Et ça tombe bien, à Medellin, la bouleversante Casa de la Memoria est là pour vous rappeler l’horreur de cette période. Plantée en plein centre-ville, ce mémorial a ouvert il y a seulement quelques années et recueille les témoignages de personnes ayant perdu un proche durant les longues années de violences et de guérilla à Medellín.

Il y a encore 4 ou 5 ans, les gens préféraient garder le silence pour ne pas souffrir, mais comme le montre l’exemple de Naty, ma super guide de Medellin, mieux vaut parler des problèmes plutôt que de les enterrer si on veut pouvoir les régler. C’est l’idée que cherche à défendre ce lieu qui a été créé pour permettre aux gens de parler des drames qu’ils ont vécus. À la Casa de la Memoria, on ne cache rien. Et c’est bien de pouvoir parler enfin ouvertement des déplacements forcés, des enlèvements, des viols et des assassinats qui ont marqué l’histoire de la région.

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en allant à Medellin. Comme tout le monde, j’étais sans doute un peu curieux à l’idée de me confronter à ce passé ultra violent, je retiendrai pourtant surtout le dynamisme des habitants, qui se vouent corps et âme à redorer le blason de la ville qu’ils chérissent.

Lire aussi : Medellín : « De la ville la plus violente à la ville la plus innovante »

Pour les étudiants en Tourisme :  Vers une Colombie touristique : usages et détournements de l’imaginaire du risque

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